Ma mère hurlait dans la voiture, m'insultait et ordonnait à mon père de me renvoyer au bled. Il était grave et étrangement calme. Il fixait la route. Moi, assise à l'arrière, je me pinçai le bras : j'espèrais que tout ceci n'était qu'un cauchemar et que j'allais bientôt me réveiller. Râté ! C'était réel ! Affreusement réel ! Seulement onze kilomètres nous séparaient de la maison de Dany. Je ne pleurais pas et pourtant, j'étais terrorisée. Je n'arrivais même pas à réfléchir. Je me repassais en boucle, l'arrivée de mes parents dans la chambre d'hôtel. Mais surtout, ce qui m'inquiétait le plus, c'était la seule et unique gifle que mon père m'avait flanquée à son arrivée.
Il est vrai que depuis plus de deux ans, mon père ne me battait pratiquement plus, au contraire, il me protégeait de ma mère. Mais avant cela, c'était coups de bâton, de poings, de ceinturon, de pieds et j'en passe des vertes et des pas mûres ( je vous écrirai quelques-unes de mes mésaventures plus tard ). Les coups pleuvaient pour des petits riens alors vous pensez bien que la pauvre petite gifle qu'il m'a balancé n'était pas à la hauteur de ce que j'aurais pu imaginer en pareille circonstance.
Paralysée sur la banquette arrière, je ne bronchais pas et j'attendais résignée et craintive la suite des événements. Une grosse boule d'angoisse au fond de ma gorge m'empêchait de déglutir. Mes ongles s'enfonçaient dans la chair de mes bras alors que j'essayais de réfréner le tremblement spasmodique de mes jambes. Telle une condamnée à mort !
Mes parents se parlaient dans leur langue maternelle. Chose qu'ils ignoraient, c'est que je comprenais l'essentiel de ce qu'ils se disaient : ma mère voulait à tout prix se débarrasser de moi en me renvoyant au pays, chez ma grand-mère. Impossible, je n'étais plus vierge et surtout, pour rien au monde, mon père m'aurait infligé pareille torture. Pour lui, il était hors de question que je retourne dans le pays qui a assassiné son père. Le même pays qui l'a banni et confisqué tous ses biens.Ce qui me faisait le plus mal, c'était d'entendre ma mère me dénigrer et d'essayer de rallier mon père à sa funeste cause. Il en allait de ma vie tout de même. Elle n'éprouvait ni compassion, ni pitié pour moi, sa fille. Comment pouvait-elle me descendre de la sorte. Pourtant, combien de fois l'ai-je vue s'interposer entre mon père et mes frères et soeurs au risque de prendre des coups pour les défendre ? Il fallait me rendre à l'évidence, jamais elle ne l'avait fait pour moi et ce n'est pas aujourd'hui, qu'elle allait commencer. Bien au contraire, elle était du genre à mettre de l'huile sur le feu. Et surtout, souffler sur les braises pour ranimer la flamme !
Dans ses conditions, ces onze kilomètres me paraissaient interminables. Mais enfin nous arrivâmes chez Dany. Nous fûmes reçus par ses parents et le scandale éclata. Dany fut réveillé et mon père lui posa la question : " Que comptes-tu faire avec ma fille ! As-tu l'intention de l'épouser pour réparer ? "
Nous nous sommes regardés, ses yeux bleus étaient délavés et rougis par la fatigue et l'alcool. Il râcla sa gorge en passant ses doigts dans ses cheveux blonds ébouriffés et répondit "oui".
Je n'arrive plus à me souvenir du chemin du retour. Simplement arrivés à la maison, je fus envoyée dans ma chambre avec interdiction d'en sortir. J'entendais des bruits étouffés de conversations qui me parvenaient de la salle à manger. Toujours les mêmes jérémiades de ma mère et moi, de mon côté, je tendais le dos. Je m'attendais, ou plutôt, je craignais que mon père fasse irruption dans ma chambre et m'assène la volée de ma vie ! L'attente a été longue et, à l'heure actuelle, je me demande encore si je n'ai pas loupé un épisode !
Après la tempête, enfin le calme. Enfin un peu de répit ! Mon cerveau qui était en stand by allait pouvoir tourner à plein régime et me faire une synthèse de ma situation.
J'allais me marier ! C'est une blague ?! Et Dany qui acceptait en plus ! Merde, tout à coup je pensais à mon frère qui allait rentrer de l'internat. Il fallait à tout prix que je l'intercepte avant qu'il ne passe le seuil de la maison. Trop tard, mon père m'avait enfermée à clé. J'ai collé mon oreille à la porte et vers 19 heures, j'ai pu entendre la question fatidique : " Où est ta soeur ? " Sans se démonter et sûr de lui, il répondit : "elle arrive, elle discute avec ses copines !
A peine eut-t-il fini sa phrase qu'un violent coup de poing vint percuter sa pommette !
J'ai eu l'impression que mon coeur se déchirait. Pardonne-moi, petit frère. Tu as dû avoir les boules en voyant que je n'étais pas dans le bus ! Malgré tout, tu m'as couverte et tu l'as payé bien cher !